Je me souviens des frictions à l’eau de Cologne Extra Vieille de Jean-Marie Farina après le bain.
Je me souviens des guem’s, technique unique de grimace buccale et sonore.
Je me souviens des sandwichs de Madame Picard, la boulangère, à base des restes de la veille et surtout de haricots verts et de betteraves…
Je me souviens des balades sur la plage où l’on parlait de tout et de rien, les pieds dans l’eau, la tête dans le ciel.
Je me souviens des chaussettes blanches.
Je me souviens des escalopes à la milanaise de Pizza Livio.
Je me souviens des pâtes à la bolognaise avec de la harissa dans la sauce tomate.
Je me souviens des films.
Je me souviens des débats sur les films.
Je me souviens des souvenirs que les films faisaient revivre.
Je me souviens du souvenir de la guerre, des bombardements alliés sur Tunis pendant lesquels ils mimaient Harpo des Marx Brothers, écroulés de rire.
Je me souviens des petits bouquets de jasmin.
Je me souviens des gaufres de Deauville et de Trouville.
Je me souviens de la glace au chocolat de Berthillon.
Je me souviens des mille-feuilles.
Je me souviens des pulls sur les épaules, les manches nouées autour du cou.
Je me souviens des réunions du mardi midi au Berkeley avec les copains d’enfance.
Je me souviens des fous rires sous la couette, lors des soirées télé devant
Angélique, marquise des anges.
Je me souviens de Mireille Mathieu, Dalida et Nana Mouskouri…
Je me souviens de la montre gardée au poignet, même la nuit.
Je me souviens de la GS automatique, de la R18 automatique et de la Mercedes 190 automatique.
Je me souviens d’un brunch gargantuesque chez Charlie’s, à Boston, du motel de Jackson Hole à la frontière américano-canadienne, de la serveuse mielleuse de Québec, d’une nuit au bord du St-Laurent, d’un « strip-tease » dans un couloir d’hôtel, à Montréal…
Je me souviens des échanges de polars.
Je me souviens des rendez-vous chez le coiffeur, tous les deux-trois mois, pendant plus de vingt ans. Le cinéma, la politique, les études, le travail, ses souvenirs de Tunisie, ses parents et les miens, ses amis et les miens, mes déboires amoureux et l’amour de sa vie. De tout cela, nous parlions, mon grand-père et moi, après le prétexte capillaire.
Je me souviens des bouteilles de parfums que mon grand-père nous offrait tous les ans pour son propre anniversaire.
Je me souviens de mon grand-père, décédé lundi dernier.
Merci à Georges Pérec.